La Zone 30 : cela vaut le coup de s'y attarder

Interview : Denis Marion, ASBL Trop de Bruit en Brabant wallon

«La zone 30 est conviviale, agréable, amusante et plus sûre.»

Propos recueillis par Stéphane Gigandet. Interview publiée le 13/06/11 à 15h11.


Panneau d'entrée dans une zone à vitesse limitée à 30 km/h. Auteur <a href="http://commons.wikimedia.org/wiki/User:Roulex_45">Roulex_45</a>, licence <a href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/deed.en">Creative Commoncs cc-by-sa</a>
Panneau d'entrée dans une zone à vitesse limitée à 30 km/h. Auteur Roulex_45, licence Creative Commoncs cc-by-sa

Le sujet brûlant du moment en matière de circulation routière, c'est la suppression en France des ô combien utiles panneaux avertisseurs de radars qui garantissent un respect scrupuleux des limites de vitesse pendant quelques centaines de mètres. Mais connaissez vous cet autre panneau, "Zone 30", qui est de plus en plus présent dans nos villes ? Denis Marion est l'une des personnes qui milite pour l'extension des zones 30. Il nous explique comment la zone 30 apporte non seulement plus de sécurité, mais aussi plus de convivialité.

Qu'est ce que "La Zone 30" ? S'agit-il d'une version européenne de la fameuse "Area 51", une zone d'expérimentation des relations entre piétons et extrapédestres ?

Je ne connaissais pas la fameuse "Area 51". Voici ce que j'ai trouvé à ce sujet sur Wikipedia: "La zone 51 est une aire géographique du Nevada aux États-Unis où se trouve une base militaire secrète testant entre autres des appareils expérimentaux. Le milieu ufologique la reprend fréquemment à son compte pour élaborer diverses théories conspirationnistes suggérant des relations secrètes entre l'armée américaine et des extraterrestres. Elle est principalement connue sous son appellation anglaise Area 51."

La zone 30 n'est ni conspirationniste, ni militariste. Elle serait plutôt conviviale, agréable, amusante et plus sure. En ce sens, elle serait effectivement une zone d'expérimentation des relations entre piétons et extrapédestres.

A quoi servent ces zones, dans quels pays existent-elles et combien y en a-t-il ?

Les zones 30 existent un peu partout en Europe.
Une des premières raisons pour en implanter est l'augmentation de la sécurité (à développer particulièrement aux abords des écoles) mais ce n'est pas la seule raison. En effet, régler l'omniprésence et l'omnipotence de la voiture dans nos rues est également un enjeu primordial.
C'est pour résoudre ce problème que la ville de Graz (Autriche) a été en 1992 une pionnière en la matière. " Avec 240 000 habitants, Graz est la 2ème plus grande ville d'Autriche [...] et constitue le 1er centre-ville à appliquer une limitation de vitesse de 30 km/h sur tout le territoire de la ville (à l'exception des principales artères)".
Rendre la ville à ses habitants et donner aux autres usagers la place qui leur revient est fondamental. Assurer la sécurité, limiter l'usage exagéré de la voiture, augmenter la convivialité sont des éléments importants du bien-vivre ensemble favorisé par la mise en place de ces zones 30.
Pour ceux qui ne seraient pas convaincus, Christophe Mincke, dans une étude intitulée "Insécurité et sentiment d’insécurité à Bruxelles", rappelait ceci. Il avait "été demandé aux personnes de désigner, parmi une liste de dix-sept, quels comportements ils considéraient comme problématiques dans leur quartier. Ces données reflètent un souci par rapport à une situation, que celle-ci soit quantitativement importante ou non. Huit problèmes recueillent plus de 20% de réponses « tout-à-fait » à Bruxelles. Parmi elles, trois concernent la circulation automobile, deux des vols (cambriolages et vols dans les voitures) et trois la dégradation du quartier (objets qui traînent en rue, murs salis et destruction de mobilier urbain). Sur les huit problèmes, six concernent donc des questions relevant davantage de la qualité de vie que de la délinquance au sens où ce mot est communément entendu. Ces chiffres indiquent à la fois qu’une importante proportion des Bruxellois s’accorde à identifier une série de problèmes qu’ils vivent au quotidien et que ceux-ci ne concernent que peu des questions de délinquance à proprement parler".
La circulation automobile est clairement un facteur déterminant pour la qualité de la vie.

Le nombre de zone 30 en Europe m'est par contre totalement inconnu.

Une Zone 30 à Oudorp aux Pays-Bas
Une Zone 30 à Oudorp aux Pays-Bas

La Zone 30 va-t-elle bientôt se transformer en Ville 30 ? Quels changements sont nécessaires pour qu'on en arrive là ?

Sceaux (Hauts-de-Seine), une ville 30 - Photo Philippe Bouyer
Sceaux (Hauts-de-Seine), une ville 30 - Photo Philippe Bouyer

Cette question est intéressante. Pour beaucoup, une zone 30 se limite ou doit se limiter à une ou quelques rues. Je pense qu'au contraire, il faut élargir le périmètre. Dans le cadre d'un Programme communal de développement rural, pour augmenter le niveau de convivialité et de sécurité, nous avions proposé que des villages entiers soient mis en zone 30 de telle sorte à conduire les navetteurs vers Bruxelles, nombreux dans notre région, à utiliser les grands axes fussent-ils encombrés. Dans les agglomérations, la vitesse par défaut peut être 30 km/h, relevée le cas échéant à 50km/h sur certains axes spécifiques.
Outre Graz déjà citée, d'autres villes ont fait peu ou prou le pas vers la ville 30. En Suisse, Genève (1990 -> 2020)et Zollikon (2004), en Allemagne, Fribourg, en France, Sceaux, Fontenay-aux-Roses, Strasbourg (2013 ?), en Angleterre, Portsmouth (2008)et le comté du Lancashire (9m £ d’ici 2013), en Belgique, le pentagone de Bruxelles et Leuven sont ou vont être des villes 30.
C'est pourquoi dans la suite de cet interview, je vous convierais à comprendre la zone 30 en son sens élargi.

Quelle est l'efficacité des zones 30 en matière de sécurité ?

Le risque et la gravité des accidents sont directement proportionnels à la vitesse. La zone 30 est donc un dispositif de sécurisation important pour les piétons. Lors d'une collision avec une voiture à 50 Km/h, le risque d'accident mortel est de 45%, à 30 km/h, il n’est plus que de 5% environ.

La Zone 30 souffre-t-elle d'un manque de notoriété et surtout d'uniformité ? Avant de me renseigner pour cette interview, j'ignorais qu'en France, les Zones 30 sont censées être dépourvues de feux, de panneaux et de marquage au sol (y compris de passages piétons) à l'intérieur de la zone. Les piétons peuvent traverser n'importe où, et la priorité à droite est la règle pour toutes les intersections. En pratique la Zone 30 telle que décrite par le code de la route français est quasi-inexistante...

Fontenay-Aux-Roses (Hauts-de-Seine), première ville 30 de France - Photo Philippe Bouyer
Fontenay-Aux-Roses (Hauts-de-Seine), première ville 30 de France - Photo Philippe Bouyer

Je ne connais pas bien la situation en France. Néanmoins, dans les exemples cités plus haut, il y a de nombreuses villes françaises. Je présume qu'elles appliquent les recommandations ou la réglementation. Il n'est certainement pas incompatible de trouver un passage pour piétons en face d'une école dans une zone 30.

Les zones 30 ont elles également un rôle environnemental et/ou sociétal ? Dissuadent elles de prendre sa voiture pour de courts trajets et encouragent elles l'utilisation d'autres moyens de transport ?

Elles ont indéniablement ce double rôle ou mieux, ce rôle. Il n'est ni normal, ni sain de dissocier l'environnemental du sociétal. La zone 30, particulièrement quand elle est étendue au concept de ville 30, a une influence réelle sur l'utilisation de la voiture. Un peu plus haut, nous évoquions la possibilité de mettre à 30 km/h des villages entiers de telle sorte à rediriger le trafic vers les grands axes. Les rues des villages ne seraient plus des itinéraires de délestage, mais rendues à leurs habitants. Quand vous roulez à 30 km/h, vous devenez un élément comparable aux autres dans l'usage de la route. Les piétons et les cyclistes ne vous perçoivent plus comme un prédateur, mais comme quelqu’un que l'on peut identifier, reconnaître, saluer. Votre passage est moins bruyant, ressenti comme moins agressif.
Le navetteur, confronté à de nombreuses zones du même type, ne trouvera plus son compte à traverser les villages. Et si les grands axes deviennent à ce point encombrés, il trouvera peut-être plus intéressant d'utiliser les transports en commun.

L'un des buts de la Zone 30 est d'obtenir un meilleur partage de la route entre les piétons, les cyclistes, les automobilistes. Comment s'opère ce nouveau partage en pratique ? Les comportements sont-ils plus civils et courtois, ou au contraire observe-t-on plus de conflits ?

"Dans dix ans, on sera tous à vélo." Pour imaginer Paris en Ville 30, les voies sur berges des quais de la Seine sont sans voitures le dimanche. Photo par <a href="http://commons.wikimedia.org/wiki/User:Pline">Pline</a>, licence <a href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/deed.en">Creative Commons cc-by-sa</a>
"Dans dix ans, on sera tous à vélo." Pour imaginer Paris en Ville 30, les voies sur berges des quais de la Seine sont sans voitures le dimanche. Photo par Pline, licence Creative Commons cc-by-sa

Il est clair que toucher à la vitesse revient à toucher à une des libertés fondamentales de l'automobiliste: appuyer à sa guise sur le champignon quand IL estime que c'est possible. Le débat récent en France sur les panneaux ou les appareils avertisseurs de radar en est un magnifique exemple. Certains considèrent que rouler à 30 km/h est humainement impossible. D'autres apprécient cette possibilité (relative) de renouer avec autrui. Rouler à 30 km/h assure, si chacun joue le jeu, une circulation fluide et sans à coup. En termes de temps, on perd quelques secondes à rouler à 30 km/h sur un trajet urbain par rapport à 50 km/h. C'est peu cher payer pour la tranquillité des riverains.
Si des freins, entretenus entre autres par la publicité, existent, les mentalités évoluent. Dans une réunion villageoise sur la convivialité, un intervenant vociférait: "les rues sont pour les voitures. Les enfants ont d'autres endroits pour jouer. A vous entendre, dans dix ans, on roulera à 20 km/h." Les autres assistants, et pas seulement des écolos, lui ont répondu: "Dans dix ans, on sera tous à vélo".
Sur le terrain, je pense que cela conduit généralement à des attitudes plus respectueuses. L'ambiance dans les rues est certainement plus conviviale. Cela a des effets connexes. Dans certaines rues où les gens avaient l'habitude de garer leur voiture sur le trottoir, les autos sont revenues sur la rue parce que le danger de la vitesse avaient partiellement disparu. Pour autant, tout n'est pas rose et certains comportements mériteraient sanctions. Mais et cela est important, ce n'est pas le propre de la zone 30. L'automobiliste a un réel problème de conduite.

Le sujet des Zones 30 est-il lui même une source de conflits entre les personnes qui sont pour et celles qui sont contre ? A quel points les associations militent elles lors des consultations pour créer de nouvelles zones ?

Les riverains, les cyclistes, les piétons sont très rapidement convaincus de l'utilité de telles zones. Ils sont donc enclins à accepter ces limitations de vitesse. L'opposition vient généralement des usagers automobiles externes au quartier ou au village, limités, disent-ils peut-être erronément, dans leurs déplacements. Si l'on évoque l'augmentation du "confort" pour les habitants, la réponse est parfois cinglante: "Ils n'ont qu'à habiter ailleurs." Il est évident que les zones 30 peuvent donc susciter des réflexions négatives, mais ces réflexions ne sont peut-être que l'expression de notre égoïsme et de notre manque d'empathie. En ce sens, établir des villes et des villages en zones 30 pourrait être une manière de modifier les comportements et d'ouvrir l'espace public à tous et pas seulement aux voitures.
Pour faciliter ce changement, les associations tentent par une communication la plus large possible, englobant les différents aspects les plus divers: vitesse, sécurité, bruit, convivialité, climat, mode, d'amener leurs concitoyens à penser autrement la vitesse et les déplacements.

Des études (Lig'Air 2007) indiquent que si la réduction de vitesse de 90 km/h à 70 km/h entraîne une réduction de l'émission de polluants, celle de 50 km/h à 30 km/h a l'effet inverse. Faut-il choisir entre sécurité et pollution, ou trouver d'autres moyens pour faire diminuer la circulation automobile lorsqu'on installe des zones 30 ?

Je reprendrais ici les réflexions sur cette question d'un des mes collègues du monde associatif.
"La différence d'émission de polluants n'est pas énorme entre 30 et 50 km/h. Le facteur aggravant principal est la conduite "saccadée", qui est très polluante en elle-même (accélérations, coups de frein brusques). Cette conduite "nerveuse" est souvent la norme dans les zones 30 équipées de dos d'ânes (où les gens ne roulent qu'à moins de 30Km/h sur l'obstacle et foncent au-delà). Donc les zones 30 qui sont simplement légèrement aménagées (peintures, chicanes) et qui induisent une vitesse linéaire réduite, mais stable et fluide ne provoquent pas de grosses aggravations de pollution. Les différences de pollution observées demeurent faibles.
Et puis l'étude ne se base que sur des zones 30 existantes à Tours et Orléans, dans une approche isolée (une rue ou quelques rues à la fois). Cette approche n'a pas d'impact sur le volume de trafic qui est le facteur déterminant de la pollution en ville ! Dans l'approche globale de la Ville 30, cette dernière peut entraîner une diminution du trafic, ne fut-ce que pour les courts trajets qu'il devient alors plus rapide et sécurisant de faire à pied ou à vélo. Et donc une diminution de la pollution. Mais il faut avoir le courage de tout mettre à 30 km/h pour voir cette réduction du trafic arriver..."

Merci beaucoup !

Zones 30, Villes 30 : à quelle vitesse roule-t-on en bas de chez vous ? En tant qu'automobiliste, riverain, piéton, cycliste, patineur, skateur, promeneur, maman ou papa avec landeau ou poussette, livreur de pizza, usager des transports en commun, comment vivez-vous et imaginez-vous un meilleur partage de la route ?

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Stéphane Gigandet

Paris

Créateur d'Interesting Views.

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