Une vie en voyage
Interview : Marie Claire Saint Maux, Expatriée en série
«Aujourd’hui encore, je suis prête à tout emballer, faire nos valises et partir. C’est dur d’être raisonnable.»
Propos recueillis par Stéphane Gigandet. Interview publiée le 30/07/11 à 19h04.
Nous sommes nombreux à vouloir voyager, découvrir le monde, s'expatrier et vivre dans un autre pays pendant quelques années... Mais peu de personnes mènent une vie aussi extraordinaire que celle de Marie Claire qui a contracté le virus du voyage lorsqu'elle est partie de Belgique pour le Congo Belge lors de ses 6 ans pour y revenir 60 ans plus tard. Le temps de cet entretien, suivez les pérégrinations et les tribulations de Marie Claire, et dites-nous si sa lecture vous immunise contre l'expatriation ou au contraire est favorable à sa contagion !
Tu as vécu dans 12 pays, tu en as visité 32, et tu as habité dans 75 maisons différentes. Serais-tu une criminelle en fuite ? Ou le FBI te force-t-il à déménager tous les six mois parce que tu fais partie de leur programme de protection des témoins ?
Ni l’un ni l’autre, j’ai simplement suivi mes parents quand ils ont décidé de partir au Congo après le retour de captivité de mon père.
Ce Congo de l’époque coloniale sera le premier épisode de mes pérégrinations.
Pendant mon enfance et mon adolescence, entre 1946 et 1960, j’ai fréquenté pas moins de 8 écoles et internats différents.
A la fin de mes humanités Maman a décidé de me garder un an à la maison pour m’apprendre ce que l’internat n’avait pu m’apporter : la tenue d’une maison.
Au cours de cette année sabatique j’ai rencontré celui qui deviendra mon époux. Il était le médecin du poste. Conscient de l’isolement relatif dans lequel nous vivions il m’a encouragée à aller suivre des cours à l’université mais étant fiancée je n’avais plus la tête aux études, je voulais bien plus fonder une famille qu’acquérir un diplôme.
Je suis donc devenue Marie Claire Rogirst en 1960. Pour ceux qui connaissent le Congo nous avons vécu de 1960 à 1973 à Lubumbashi puis à Mutshatsha. En 1966 poussés par les évènements on est rentré à Bruxelles « définitivement » comme on disait alors quand on quittait « les colonies ». Mais en 70 on est reparti pour Kinshasa.
Là, intervient en 75 un changement conjugal et je m’appellerai Marie Claire Serra.
Nous passerons quelques années à Kinshasa. Nous ferons un court séjour en Allemagne à Nurenberg et en 1980 on s’envole pour Bujumbura.
Quelques mois plus tard, je rencontre un autre Médecin, spécialiste en Santé Publique, avec lequel je vis encore aujourd’hui. On ne s’est jamais marié, on est « paxé » Quoique seulement « paxée » on me connaît comme Marie Claire Storme.
Ensemble nous ferons le reste du parcours : Niamey, Kinshasa une fois de plus, Johannesburg, Mendoza, Abidjan, Tete (Mozambique), Jijiga (Ethiopie), N’Djamena, Kigali, et Dumaguete (Philippines).
En 2005 je le convaincs de prendre sa retraite. Nous rentrons en Belgique et nous commençons des aller-retour, 6 mois à Agadir et 6 mois en Belgique. Essai non fructueux, outre les difficultés administratives on perd ses points de repère des deux côtés. Actuellement on se contente de partir au soleil aussi souvent que possible, les distances à parcourir en voiture nous paraissent moins astreignantes que les désagréments qu’imposent aujourd’hui les voyages en avion.
Tu as quitté la Belgique pour le Congo a 6 ans et j'imagine que tes propres enfants ont du beaucoup bouger eux-aussi. Comment les enfants vivent ces déménagements ? Comment arrive-t-on à se créer des racines quand on doit régulièrement quitter son pays, sa maison, sa chambre, ses écoles, ses amis ?
Bonne question que je ne leur avais jamais posée. C’est réparé voici les réponses que ma fille Marine m’a communiquées
Olivier (50 ans) Roland (48 ans) Marine (36 ans)
« Alors, Olivier et Roland disent qu'ils estiment ne pas avoir voyagé, mais vécu au Zaïre! Par la suite, étant plus grand, ils ont aimé la suite de tes voyages, puisque ça leur a permis de passer des chouettes vacances partout.
Moi, c'est une autre histoire. Je dirais que enfant, il y avait deux aspects:
- le côté matériel et géographique qui était super chouette, nouvelle maison, nouveaux meubles, nouvel environnement, etc....
- le côté relationnel était horrible, toujours quitter ses amis, toujours recommencer, laisser les animaux et être loin de la famille en Belgique, de ceux qui qui souffrent ou qui meurent.
Adulte, on relativise et je me dis que je suis fière et heureuse d'avoir vécu comme ça, quelle chance et quel enrichissement! C'est en grande partie les voyages qui font de moi ce que je suis aujourd'hui! »
Olivier a travaillé en Afrique du Sud et en Angleterre. Il a traversé l’Amérique sac à dos du Nord au Sud pour finalement venir nous rejoindre à Mendoza où il a ouvert un restaurant.
Roland a fait de même en achetant un petit vignoble et un petit magasin.
On avait recréé le clan.
Hélas nous y avons eu les pires ennuis : cambriolages, escroqueries de la part du consul belge, la grêle sur la vigne, le magasin vidé à plusieurs reprises, Roland a été menacé le révolver sur la tempe devant les enfants, mon compagnon a été kidnappé par des bandits de quartier, nous nous sommes retrouvés ligotés sur notre lit, battus…
Don’t cry for me Argentina chantions-nous en partant.
Marine est rentrée en Belgique et ce n’est que ces derniers mois que le virus du voyage
commence à se manifester.
Quels sont les plus gros obstacles pour s'intégrer et obtenir un travail lorsqu'on arrive dans un pays ? La barrière de la langue, la culture, les préjugés, le manque d'emplois correspondant à sa formation, les tracasseries administratives (visas, permis de travail etc.) ?
La barrière de la langue n’est qu’un obstacle mineur que l’on peut aisément franchir avec un petit effort.
Mais la langue parlée correspond aussi à une autre mentalité, ce n’est pas parce que nous parlions l’anglais que j’ai pu m’adapter à aller me servir dans leur frigo quand j’allais chez des amis, ni que j’ai pu recevoir en organisant un « Bring and braai » qui signifie : le BBQ sera prêt, vous apportez votre viande (car on ne mange que la sienne) et la boisson (beaucoup).
Avant de penser à s’intégrer il faut régler le problème de visa avant le départ. Dans beaucoup de pays pour l’obtenir il faut un contrat de travail.
N’étant que « concubine » comme on disait à l’époque, il fallait toujours que l’employeur trouve le moyen détourné de me procurer un visa aussi.
En Afrique du sud il fallait immigrer, la liste des documents à fournir était longue, le capital exigé est important.
En Argentine où nous sommes restés 4 ans, nous devions aller tous les mois au Service de l’Immigration payer une certaine somme auprès de la responsable. Quand nous sommes partis nous n’avions toujours pas de visa et nous n’étions pas près de l’obtenir car la personne en question avait mis soigneusement tout dans sa poche.
Un exemple de paperasseries : mon nom s’écrit Saint maux sur mon passeport et Saint-Maux sur ma carte d’identité. Le problème a mis des mois à se résoudre.
Est-ce plus difficile quand on est une femme ? Certaines choses sont elles au contraire plus faciles ? (réseaux d'entraide etc.)
A première vue je ne ferai aucune différence. La femme africaine est merveilleuse, elle suscite le respect et cela rejaillit sur les femmes expatriées (sur celles qui ne vont pas faire du tourisme sexuel). Au Maroc, dans les pays musulmans le respect est encore plus marqué.
Certains expats, sont d’office inscrits par leur boîte au Golf Club ou dans un cercle « à fréquenter » ce qui me porte à dire que ce serait plutôt l’employeur qui au départ accorde des avantages.
Les réseaux d’entraide sont parfaits pour s’introduire dans le milieu social mais je pense qu’il faut s’en éloigner le plus rapidement possible car ils sont en grande majorité fréquentés par des personnes qui ont besoin de s’afficher.
Quel est le meilleur moyen pour vaincre ces obstacles ?
Ecouter, observer, découvrir toutes les possibilités, ne pas croire qu’on va changer le monde,
Ne pas se laisser apitoyer.
Il y a deux catégories de femmes expats, celles qui comme moi ont travaillé en « dilettante » ou les femmes de carrière. Pour ces dernières je ferai encore 2 classifications : celles qui sont seules et celles qui accompagnent leur conjoint.
Pour les célibataires, il me paraît indispensable de ne partir qu’avec un contrat en mains.
Pour les accompagnantes, dans un premier temps, accepter un premier job même s’il ne correspond pas exactement au diplôme et laisser faire le temps
Parmi la dizaine de conseils que tu donnes sur Femmes de Challenges (Faire toute la ville à pied, Ne pas attendre les ouvertures des autres et inviter etc.) il y en a une qui m'a surprise : "Etre toujours plus attirante pour le mari quand il rentre à la maison". C'est particulièrement pertinent pour les femmes expatriées ?
C’est un conseil valable pour toutes. Si tu vas sur leur lieu de travail, toutes les femmes sont au Top de leurs possibilités. Pour qui ? L’employeur, les collègues ou les clients ? Aussitôt arrivées à la maison, et hop, tout vole, chaussures, vêtements, pour enfiler une tenue de jogging ou de femme d’ouvrage. Le mari quand il rentre avec dans les yeux l’image de sa collègue affriolante, qu’en pense-t-il ?
En Afrique il y a un danger supplémentaire effectivement. Les cercles d’amis sont restreints, on rencontre souvent les mêmes, on a beaucoup plus de temps libre donc les sorties, les réceptions sont fréquentes et comme l’herbe est toujours plus verte de l’autre côté, les tentations s’installent. Ma maman m’a toujours dit de me méfier de ma meilleure amie et quand le choix est limité on se lie facilement d’amitié.
Combien de temps faut-il pour bien s'intégrer dans un pays, pour s'y sentir bien ?
Depuis toujours j’entends cette question : c’est bien au …
Et ma réponse reste la même : cela dépend de soi-même d’abord, c’est un peu l’auberge espagnole.
Et si moi je ne me suis pas plue à un endroit déterminé, à un moment déterminé, je ne peux pas préjuger de l’évolution des circonstances.
Tu peux avoir une super bande de copains entraînés par une locomotive, il part ailleurs et tout s’écroule.
Et si l'on s'y sent bien, pourquoi en partir ? Le virus du voyage et des découvertes reprend rapidement le dessus ?
Dans notre cas pendant toute une partie de nos errances, le choix a été dicté par les contrats de travail.
Mais nous sommes partis de notre plein gré d’Afrique du Sud (le danger), d’Argentine (tout ce que nous y avons vécu) et du Tchad où les conditions de vie et de travail étaient insupportables.
Du Niger et du Burundi nous avons été expulsés pour des raisons de politique nationale
Le virus est toujours latent.
Quand Bernard a eu 68 ans je lui ai demandé de prendre sa retraite pour que nous puissions vivre quelques années ensemble avant d’être invalides, malades, débiles mentaux…
Aujourd’hui encore, à 73 ans, il reçoit des offres d'emploi. Je l’ai supplié de ne pas m’en parler car sinon je suis prête à tout emballer, faire nos valises et partir. C’est dur d’être raisonnable.
Quand on part d'un pays pour aller dans un nouveau, qu'emporte-t-on avec soi, et qu'y laisse-t-on ? (pas tellement sur le plan physique, je pense surtout aux rencontres, aux amis, aux expériences, aux connaissances etc.)
Parfois le plan physique te fend le cœur. Regarde la photo de la sculpture qui est restée à Dumaguete…
Nous sommes arrivés en Argentine avec un container, on en est reparti avec 4 valises dont aucune ne nous avait suivi. Arrivée à Bruxelles avec PLUS RIEN je t’assure que j’ai pleuré. Trois d’entre elles ont été récupérées rapidement, la quatrième nous a été retournée après un mois. Nous allions entrer dans une maison que nous avions achetée pour y habiter, mais nous na savions pas si il y avait des ampoules au plafond.
On a donc acheté en arrivant le matériel de première nécessité : un matelas, des ampoules, du Nescafé, du pain, du fromage et du saucisson et de la bière (on n’est pas belges pour rien). On a dormi par terre grelottant et … on a recommencé à zéro. Et tu sais quoi, on ne s’en plaint pas.
Quant aux personnes, que de fois avant Internet, assis le soir tous les deux ne nous posions-nous pas la même question : et un tel qu’est-il devenu ?
Merci Facebook grâce auquel on a pu renouer de nombreux contacts.
Qu’y laisse-t-on comme expérience me demandes-tu ; AUCUNE, on les emporte avec soi, c’est un bagage qui entre dans l’avion sans être pesé.
Est-ce que tes passions pour la cuisine et pour les tissus et vêtements qui ont par nature une portée internationale t'ont permis de ne pas avoir l'impression de repartir de zéro à chaque départ, et de ne pas avoir tout abandonné derrière toi ?
Définitivement OUI. Le passeport Patchwork ou celui de Cuisine sont de loin supérieurs à ceux des Clubs services
Tu es aujourd'hui de retour en Belgique, quelles sont maintenant tes aspirations et tes projets ?
Après m’être très rapidement intégrée dans le milieu artistique, allant d’exposition en exposition, j’ai tout lâché, ma source d’inspiration est restée en Afrique.
Mes voyages et mes rencontres se font grâce aux réseaux sociaux, ce monde est illimité.
J’adore.
J’apprends, j’essaie de suivre le mouvement, j’ai créé un Ebook, Morceaux Extra-Ordinaires, le premier d’une série sur les abats ce qui m’a permis de découvrir un réseau de
Je couve le projet d’écrire un livre sur ma vie en tant que « Passeuse d’âmes ».
Je t’ai rencontré, tu es plein d’idées aussi, c’est génial.
Les aspirations : pouvoir tenir la route dans de telles conditions et transmettre mes connaissances.
Mes projets : aucun, quand tu en fais ils ne se réalisent jamais selon les plans, alors quand tu n’en as pas, c’est toujours un cadeau d’en trouver un sur ta route.
Merci beaucoup Marie Claire de partager avec nous les expériences très diverses que tu as vécues dans toutes ces contrées !
En plus des voyages, Marie Claire est passionnée de cuisine et de patchworks. Vous pouvez la retrouver sur son blog cuisine Un demi siècle de recettes et son site sur les patchworks et textiles africains Afriqu'Art Quilt.
Et vous quelles passions avez vous rapportées de vos voyages ?